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lundi 30 mai 2011

ACTUALITE

Guerre de religion sur la pilule


Le président tente d’introduire une loi autorisant la contraception pour les couples. Mais l’Eglise, encore toute-puissante dans le pays, s’oppose de toute son autorité à ce projet, relate le South China Morning Post.
18.10.2010 - Raissa Robles - South China Morning Post

Carlos Celdran fait pratiquement partie du décor du vieux quartier intra-muros de Manille. Ce célèbre guide touristique se distingue de ses semblables par les propos “irrévérencieux” qui émaillent son discours lorsqu’il aborde l’histoire et la société philippines dans le cadre de ses visites guidées. Il est récemment venu ajouter son grain de sel au débat sur l’opposition de l’Eglise catholique au contrôle artificiel des naissances en pénétrant dans la cathédrale de Manille pendant l’office du vendredi pour crier, depuis l’autel : “Cessez de vous mêler de politique !” à l’attention des prêtres. Les protestations de Celdran s’inscrivent dans un débat national qui dure depuis un certain temps. Le pays est dans l’impasse. Le président Benigno Aquino a en effet promis à la population de rendre les contraceptifs accessibles aux familles pauvres, ce à quoi s’oppose avec virulence l’Eglise catholique. Cette promesse lui a valu d’être menacé d’excommunication. Le clergé mène campagne pour faire échouer l’adoption de la loi dont l’objectif est de concrétiser les promesses électorales du président. Selon l’analyste politique Ramon Casiple, les récentes protestations de Celdran ne représentent que “la partie immergée de l’iceberg”. Directeur de l’Institut pour les réformes politiques et économiques, Casiple croit que l’Eglise “surestime” l’influence que Celdran peut avoir sur la question. De fait, selon lui, même si huit Philippins sur dix sont catholiques, la plupart d’entre eux – et notamment “un nombre considérable de sœurs et de prêtres catholiques” – accordent leur soutien au projet de loi. Celui-ci permettrait à l’Etat de fournir aux couples mariés des contraceptifs artificiels et de mettre en place des cours d’éducation sexuelle dans les écoles publiques. Depuis 1989, l’Eglise cherche à saper tout projet permettant de contenir l’explosion démographique du pays. L’archipel se situe au 12e rang des pays les plus peuplés. Par ailleurs, son taux de natalité annuel de 2,04 % – qui pourrait faire doubler la population d’ici trente-quatre ans – est tenu pour responsable en partie de la pauvreté généralisée. Lors de la dernière élection présidentielle, l’Eglise a refusé d’accorder son soutien à Aquino parce qu’il promettait de fournir “tout un éventail d’options et d’informations aux couples au sujet des méthodes naturelles et modernes de planification familiale”. Diplômé en sciences économiques de l’université d’Ateneo de Manille – une université gérée par des Jésuites –, Aquino croit qu’il est urgent d’agir : “En 1986, nous étions environ 50 millions. Aujourd’hui, la population des Philippines se situe entre 90 et 95 millions.” Le favori du clergé, John Carlos de los Reyes, a fini dernier sur les neuf candidats à la présidentielle. “Si la loi est approuvée par le Congrès, Aquino la signera”, estime Casiple. Le président a déjà travaillé sur des mesures semblables lorsqu’il était à la Chambre et au Sénat, mais elles n’ont jamais abouti. Fin septembre, lors d’une visite à San Francisco, Aquino a réaffirmé sa position en insistant sur le fait que les couples doivent déterminer par eux-mêmes la méthode de contraception qu’ils souhaitent utiliser et que “le gouvernement pourrait aider les familles qui n’ont pas les moyens d’employer la méthode de leur choix”. Cette déclaration n’a pas plu à l’évêque Nereo Odchimar, président de la Conférence épiscopale philippine, l’organe décisionnel de l’Eglise catholique. Aquino risquait-il l’excommunication s’il se mettait à distribuer des contraceptifs ? “C’est une possibilité”, a d’abord répondu le prélat. “[Mais] nous allons d’abord examiner les autres moyens. Pour l’instant, c’est envisageable.” Début octobre, le président a promis de rencontrer les évêques et de leur expliquer pourquoi il pense que l’Etat a l’obligation d'“informer tous ses citoyens des choix dont ils disposent”. Le sénateur Joker Arroyo a mis le clergé en garde contre l’emploi de la menace. L’Eglise pourrait bientôt prendre conscience qu’une grande partie de ses fidèles ne partage pas son opinion sur la question, prévient-il. “Aura-t-elle le courage d’excommunier la majorité des députés et des sénateurs qui voteront en faveur de la loi ?” Les dignitaires religieux ne sont pas les seuls à s’offusquer de l’intervention de Celdran. Le maire de Manille, Alfredo Lim, était présent lors de l’office et a ordonné son arrestation. En vertu d’une loi obscure, Celdran a été accusé d’offense aux sentiments religieux et libéré sous caution le lendemain.
Paru dans "Direct Matin"

Repère
La population philippine semble, quant à elle, prête à recourir à la contraception, malgré ses convictions religieuses et l’influence de l’Eglise.Selon une étude réalisée cette année auprès d’un échantillon de 2 100 personnes par un institut de sondage privé aux Philippines, sept sur dix voteraient pour un président qui soutient les contraceptifs. En outre, 14 professeurs de
l’université d’Ateneo ont publié un rapport dans lequel ils prennent position aux côtés d’Aquino et affirment que les catholiques peuvent soutenir cette loi “en toute bonne conscience”. Ils établissent une corrélation entre un taux élevé de mortalité maternelle (162 par 100 000 habitants en 2000) et le nombre d’avortements (473 400 en 2000).

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